12 pistes concrètes pour faire la symbiose entre éthique et performance dans le numérique

Concilier éthique et performance : nécessaire, désirable, réalisable et bénéfique !

Au dernier trimestre 2021, Sendethic a organisé un cycle de conférences sur le thème « comment faire la symbiose entre éthique et performance« . L'approche « holistique » a été privilégiée avec des intervenant.e.s aux profils diversifiés qui ont abordé les sujets complexes de l'éthique et de la performance selon leurs prismes propres.

Entrepreneure à impact social, philosophe engagé, growth hacker, publicitaire, expert en data, DPO… Les angles d'attaque ont couvert les dimensions sociales, sociétales, vie privée et environnementale. Ce foisonnement de points de vue a permis, selon nous, de faire émerger ades enjeux transversaux que nous identifions ici. Le débat reste ouvert !

Le marketing à-la-va-comme-je-te-pousse est révolu. Les contraintes réglementaires et les aspirations des consommateurs – comme des autres parties prenantes – à davantage d’éthique appellent à l’adoption de pratiques fondées sur la confiance, la sincérité et la transparence. Notre conviction : ces valeurs sont le vecteur de la performance des organisations de la société post-industrielle.

Un rapport de force inversé entre les consommateurs et les marques

Depuis ses débuts, le web a profondément évolué. Compétition grandissante entre annonceurs, suprématie des GAFAM qui détiennent la grande majorité des données des internautes, durcissement des réglementations liées à la gestion de ces données, arsenal technologique à mettre en place pour des campagnes optimisées… La data est au cœur du marketing et pourtant cette denrée précieuse est de plus en plus difficile à collecter. Sans compter que les usagers souhaitent un web plus responsable, moins intrusif, plus respectueux de leur vie privée et de leurs données personnelles. Plutôt que des pop ups publicitaires et des emails non sollicités, ils aspirent à une relation sincère avec les marques, de la confiance et des communications utiles et personnalisées. « Les pratiques marketing ont changé car le rapport de force entre consommateurs et marques s’est inversé », résume Frédéric Cavazza, expert en marketing digital depuis 25 ans, consultant et conférencier, cofondateur du cabinet Sysk.

Bref, il n’est plus possible de mener des campagnes comme il y a 20 ans.

« Les consommateurs valorisent l'engagement sociétal des entreprises » Frédéric Cavazza

Autrement dit, concilier éthique et performance ne relève pas de la coquetterie, ni même d’un facteur différenciant mais bel et bien d’une nécessité impérieuse. Alors comment faire ?

1) Adopter un discours vrai c’est-à-dire entendre la soif de sincérité des consommateurs et profiter du momentum RSE des marques

L’évolution des pratiques publicitaires sur Internet est étroitement liée au niveau d’acceptation et de consentement par les internautes. Les premières bannières pub et autres pop ups intrusives ont laissé la place aux campagnes programmatiques puis aux campagnes estampillées growth hacking. Aujourd’hui, on ne jure que par l’intelligence artificielle. Mais chacune de ces pratiques a conduit à une saturation des usagers du web et donc à des comportements d’évitement en retour, qu’ils soient individuels (avec les ad blockers par exemple) ou réglementaires avec des mesures de protection de la vie privée RGPD (règlement général sur la protection des données). Si bien qu’aujourd’hui la publicité incarne tous les « maux de la société de consommation », déplore Lionel Curt, 20 ans d’expérience en communication et marketing, CEO de l’agence de brand content MNSTR et président de l'AACC Digital (Association des Agences Conseils en Communication).

« Le story telling ne doit pas tomber dans le piège de la fable » Lionel Curt

« Tout d’un coup, les marques ne nous donnent plus qu’à voir leur RSE. Cela dit je pense que l’impact sur la société, les usages, les comportements est clairement prouvé. Après cet « emballement » concernant la RSE, il va y avoir un vrai changement culturel et organisationnel des entreprises sur cette prise en compte d’un message moins mercantile. Même si l’aspect économique est important. On ne peut opposer aspect social et économique d’une entreprise. J’aime parler de communication plutôt que de publicité mais on est là pour développer la valeur des marques, son ambition,  sa raison d’être au prisme de ses produits ».

Aujourd’hui, le publicitaire, qui préfère parler de « communication » plutôt que de « publicité », observe que les annonceurs faisant appel à son agence demandent « moins de créer du trafic que de travailler sur la marque ». C'est que les contenus « putaclics » ne nourrissent pas la marque durablement. « Le discours doit se transformer, être audible et être unifié, explique-t-il. Aujourd’hui il faut aligner les valeurs portées par l’entreprise avec le discours de marque et y embarquer toutes les parties prenantes, les collaborateurs, les consommateurs mais aussi les fournisseurs ». Il va sans dire que ce discours doit être vrai. Si la responsabilité sociale et environnementale est plébiscitée par les internautes, le storytelling, mais aussi les actes, se doivent d’être sincères. Sinon, gare au retour de bâton. Les consommateurs sont de plus en plus informés et éclairés et prompts à dénoncer les comportements factices de greenwashing ou de social washing. 

2) Développer une approche frugale de l’utilisation des données

Collecter à tout va ou arroser toute sa base d’emailings sans ciblage est assurément une pratique du passé. Du moins pour un grand nombre d’organisations. L’heure est à la sobriété que ce soit dans la collecte d’informations ou les sollicitations.

Christophe Cousin, expert en données, CEO et chief data officer (CDO) auprès des clients de l'activité de conseil AnabatiQ qu’il a fondée, observe « un décalage entre ce que les organisations veulent collecter et l’usage qu’elles en font ». Malgré toutes les informations recueillies, la majorité des entreprises envoient des messages identiques, sans les personnaliser, à tous leurs contacts. Les annonceurs doivent se poser, réfléchir aux données dont ils ont réellement besoin pour ne collecter que les nécessaires, tout en étant transparent sur l’utilisation qui en sera faite. Promesse qui doit bien entendu être tenue. D’ailleurs, le RGPD (règlement général sur la protection des données) recommande cette sobriété dans la collecte des données avec la « minification ». « L’usage des données ce n’est pas seulement un usage algorithmique ou mathématique. Cela va être de plus en plus une question de légitimité, de pertinence et de bon sens. En cela, c’est un changement en profondeur …», précise le “Data Guru”.

« Nous rentrons dans l'ère du post marketing où il est question de satisfaire les vrais besoins de l'audience visée plutôt que des KPIs » Benoît Dubos

Benoît Dubos, CEO de Scalezia, agence de growth hacking éthique, cite l’exemple de AHREF, qui a poussé la logique à l’extrême. Le directeur marketing de cette startup a décidé de ne collecter aucune data, aucun cookie, ni de mener des campagnes de retargeting. Son équipe n’utilise que les adresses emails et envoie uniquement aux internautes les messages qu’ils ont accepté de recevoir. Selon lui, une telle pratique correspond à celle du « post marketing où il est question de satisfaire l’audience plutôt que des KPIs (key performance indicator, indicateur clé de compétence en français, ndlr) ». Et les résultats de l’entreprise sont excellents assure le CEO.

« Ai-je vraiment besoin des données que j'envisage de collecter ? » Christophe Cousin

3) Collecter moins mais mieux.

L’assertion est également valable pour les envois d’emailings. En plus de ne pas polluer les boîtes de messageries qui regorgent d’emails, n’envoyer des messages qu’après avoir recueilli le consentement, cibler, personnaliser les contenus, sont bénéfiques « en termes de délivrabilité, de performance et d’impact écologique », souligne Vincent Fournout, cofondateur de Sendethic. D’ailleurs, il constate un véritable changement au sein des entreprises depuis la mise en place du RGPD : celles-ci font une utilisation plus sobre des emailings.

4) Consolider ces données et lutter contre l'éparpillement

Frédéric Cavazza conseille pour sa part de lutter contre l’éparpillement des données, en agrégeant puis en dédoublonnant les données déclaratives, comportementales et celles issues des partenaires. Ce travail sur la qualité et l’exhaustivité des données ne peut se faire sans le recours à des solutions techniques dédiées. D'où l'importance d’être bien outillé.

5) Envisager une approche dynamique du consentement

Selon ces principes, la question du recueil du consentement est donc primordiale. Pour Christophe Cousin, ce consentement doit s’inscrire dans la durée, alors « qu’on [le] réduit souvent à un opt-in ». « Cela va avec la possibilité pour les internautes de se désabonner, d’utiliser un adblocker, dénoncer des messages comme étant du spam… Quel que soit le canal, il y a une vraie logique à gérer le consentement dans la durée. Cela pose la question de savoir si je suis légitime pertinent et sincère pour envoyer un message. Ce qui dépasse la question technique et d’outil. C’est une question de sincérité et de relation client. Et aussi d'usage des données collectées »

« Pour être performant avec les données il faut être sincère » Christophe Cousin

D’ailleurs, Christophe constate déjà du mieux. « Les mauvaises pratiques sont moins fréquentes qu’auparavant. Et plus ça va aller, plus elles vont se faire retoquer . Je suis assez confiant dans le fait que la pression des consommateurs va induire des nouveaux comportements »

6) Reprendre le contrôle sur ses pratiques numériques

L'expression Reprendre le contrôle, nous a été soufflée par le titre de l’ouvrage dirigé par Florian Forestier « Désubériser, reprendre le contrôle » consacré à l’économie des plateformes. Nous l’empruntons ici car aujourd’hui, plus que jamais, les annonceurs sont eux aussi dépendants des plateformes, en l’occurrence les GAFAM, qui concentrent les audiences et détiennent les données.

La récupération des cookies tiers de plus en plus difficile. En cause, le dépôt sur les ordinateurs de ces données comportementales publicitaires récupérées par un tiers est progressivement bloqué par les navigateurs Internet (Firefox et bientôt Chrome) ou par les systèmes d’exploitation des smartphones, notamment Apple.

Les différents experts réunis autour de cette table-ronde conseillent donc le recentrage des actions marketing sur ses outils propres, ceux que l’on maîtrise en interne – en l’occurrence son site web, ses éventuelles applications mobiles et le canal email & newsletters. « Il faut faire venir l’internaute sur son site. C’est là que l’on peut collecter des données avec les cookies, insiste Frédéric Cavazza. Sous réserve que les internautes les acceptent ». D’où l'importance, encore une fois, de la confiance, de la transparence et de l’utilisation sobre des données collectées à des fins publicitaires. 

7) Revenir aux origines du growth hacking pour développer une croissance durable ?

Le Growth marketing a été conceptualisé dans les années 2010 dans le livre « Growth Hacking » de Sean Ellis, marketeur américain. Le principe ? A l’origine du concept, le growth hacking est « surtout axé sur le produit. Avec des expérimentations sur le produit, les différentes fonctionnalités, sur le parcours utilisateur… c'est-à-dire sur plusieurs leviers pour identifier ce qui marche et ce qui augmente le taux de conversion, de rétention etc., décrit Benoît Dubos de Scalezia. Ensuite, cela a évolué vers quelque chose de plus “borderline”, beaucoup plus orienté distribution et marketing, où l’objectif était de générer de la croissance le plus rapidement possible, à moindre coût ». Ce modèle est aujourd’hui décrié et perçu comme le symbole de dérives du Emarketing. Pourtant, le growth hacker revendiqué responsable, l’assure : en appliquant les principes originels, ce modèle peut au contraire générer une croissance durable, tout en ayant des pratiques éthiques. 

« Le modèle de départ du Growth Hacking peut générer de la croissance avec frugalité » Benoit Dubos

« Le fait est que le growth hacking a bien marché pendant plusieurs années. Mais aujourd’hui, ce n'est pas ce qui permet de faire une vraie croissance sur le long terme. Dans ce cas de figure, le growth hacking ne permet pas de concilier éthique et performance car cette dernière est court-termiste et va donner lieu à la prise de chemins de traverse. En revanche, ce qui reste intéressant dans cette méthodologie telle qu’elle a été conçue à l’origine, c’est son approche expérimentale, itérative, en testant le plus de choses possibles, le plus rapidement possible pour trouver des petites pépites et accélérer la croissance ».

8) Accompagner et former les parties prenantes de son organisation et notamment les équipes internes

Si de plus en plus d’annonceurs sont convaincus de la nécessité d’adopter une démarche plus éthique, le changement est complexe à mettre en place. Que peut-on faire avec la data ? Suis-je en capacité de le faire ? Ai-je les bons outils ? Est-ce que mes équipes comprennent les tenants et les aboutissants ? Non, le plus souvent.

Frédéric Cavazza observe un manque de connaissances sur ces questions. Le constat est le même pour Christophe Cousin. « Les data scientists, les marketeurs etc. ne sont pas suffisamment formés au RGPD, à l’éthique, à la pertinence des chiffres ou au bon sens », déplore-t-il en donnant comme exemple une analyse de données, qui a permis d’identifier un segment des femmes enceintes françaises comptant 18 millions d’individus !

Les évolutions constantes de réglementation nécessitent aussi d’accompagner les équipes marketing. C’est notamment le rôle du ou de la délégué.e à la protection des données (DPO). Liliane de Carvalho, responsable juridique, occupe cette fonction au sein du groupe Madrigall (Gallimard). « Au quotidien, il s’agit de trouver un équilibre entre les questions de légalité, d’éthique et ce qu’on peut faire. Il faut ajuster les besoins. Tout en prenant en compte l’intérêt de nos lecteurs, qui n’a pas à être spammé mais à qui il faut donner envie de découvrir nos ouvrages. C’est en ça que j’accompagne les équipes. L’important c’est que le juridique travaille avec les opérationnels », détaille-t-elle.

« Il peut y avoir une fiction entre les souhaits des équipes marketing et la conformité légale. » Liliane de Carvalho

« Mon rôle est de comprendre les besoins du marketing, parfois les faire revenir à la réalité par rapport à ce qu’ils pourront être en capacité de faire avec les données collectées et leur fournir une analyse juridique du RGPD et ses possibilités d’adaptations. Et ça, au service des intérêts de l’entreprise et dans le respect des droits des personnes ciblées par le marketing et les équipes commerciales »

9) De nouveaux indicateurs à créer pour mesurer une performance durable

La démarche d’un marketing plus éthique et performant doit passer par la mise en place de nouveaux indicateurs de performance. Ces indicateurs permettent de mesurer l'impact de la démarche et de la rendre visible pour toutes les parties prenantes.

Ces nouveaux indicateurs de performance mesurent la satisfaction des clients ou le score e-marchand avec le NPS (net customer score), le CES (customer effort score) ou encore les taux de rétention et d’abandon. Pourquoi ne pas également revoir ses fondamentaux marketing ? En mettant de côté le fameux 4P (Produit, promotion, prix, placement) qui date d’il y a plus de 60 ans, au profit du modèle SAVE : solution, accès, valeur, éducation, comme le suggère Frédéric Cavazza dans une perspective intégrant le long terme et la viabilité du système.

Et si le « consultant en renoncement devenait un métier d’avenir ? » interroge Vincent Fournout mi-amusé mi-sérieux reprenant la suggestion de Florian Forestier. Cette fonction accompagnerait les annonceurs dans l’abandon des KPIs traditionnels et des besoins qui n’en sont pas pour les aider à se recentrer sur l’essentiel : une relation sincère entre marques, entreprises et ses différentes parties prenantes. 

10) Placer l’éthique au cœur de son business model

Gagner de l’argent tout en ayant un impact social, c'est possible.

Certaines entreprises comme Isahit vont jusqu’à fonder leur performance et leur activité sur l’éthique et l’impact social. Pour celles-ci, il n’est plus seulement question de concilier ces deux caractéristiques mais de les faire entrer en symbiose. Créée en 2017, l’entreprise à impact propose une plateforme d'entraînement de données pour l’intelligence artificielle. Pour schématiser, c’est la version éthique et sociale d’Amazon Mechanical Turk (AMT). Isahit a vocation à soutenir l’inclusion professionnelle, sociale et numérique des femmes éloignées du monde du travail des pays en développement. Jusqu’à ce jour, 1 200 jeunes femmes, de 4 continents et 38 pays différents ont travaillé ou travaillent depuis leur domicile pour la startup, à raison de 100 heures maximum par mois, durant deux ans et demi. En plus de toucher un salaire – en moyenne cinq fois plus important que le Smic de leur pays, qui leur permet de concrétiser leur projet professionnel (reprise d’étude, projet entrepreneurial…) –  ces femmes sont formées au numérique tout au long de leur parcours dans l’entreprise. Et ça marche ! Le travail est réputé de qualité et l’entreprise compte parmi ses clients L’Oréal, Airbus, Véolia ou encore BNP paribas, pour ne citer qu'eux.

« la loyauté des personnes et l’envie de réussir sont décuplées quand on tend la main » Isabelle Mashola

«Ce qui a été démontré c’est que quand on soutient des personnes défavorisées, déconnectées du monde du travail, elles sont davantage loyales. Pourquoi ? Parce que ces personnes se sentent bien dans la communauté et dans leur travail, elles ont envie de donner. Elles voient ça c’est une opportunité d’avenir pour eux. Donc, il suffit de manager avec des valeurs auxquelles on croit beaucoup chez Isahit, qui sont l’honnêteté, la bienveillance et la transparence. Et pourtant, nous ne sommes pas une association, nous avons des clients, et de beaux clients : L’Oréal, Mano Mano, Airbus, Veolia, Manutan. Il faut délivrer une qualité. Ce qui est démontré, c’est que la loyauté des personnes et l’envie de réussir sont décuplées quand on tend la main. Et c’est juste incroyable ».

En plus de proposer à ces femmes un programme d’empowerment et de formation dans le numérique, Isahit œuvre à offrir de bonnes conditions de travail, qui font d’ailleurs l’objet de discussions régulières au cours de réunions dédiées. Depuis l’avènement des plateformes en ligne dites d’ubérisation, que ce soit dans les activités de courses en voiture avec chauffeurs, de livraison ou de jobbing, se pose cette question des conditions d’exercice des auto-entrepreneurs qui fournissent ces services. Ces derniers sont en effet indépendants tout en étant liés aux algorithmes des plateformes. Le législateur s’est emparé du sujet pour tenter d’encadrer ce travail et assurer à ces petites mains du digital des conditions de travail socialement respectueuses. Que le politique s’approprie la question est intéressant, appuie Florian Forestier, philosophe, cadre de la fonction publique et directeur d’études du think tank #Leplusimportant : « On aborde généralement la technologie par la question éthique sauf que la dimension politique est importante. Car il ne s’agit pas de régulation a posteriori mais de décisions collectives de ce qu’on veut faire par rapport à la technique ». Selon lui, la solution réside dans le dialogue social, à l’échelle de ces plateformes mais aussi et surtout, du secteur d’activité.

11) Réglementation, vecteur puissant de changement : soutenir et accompagner les initiatives des pouvoirs publics

Nul doute, la réglementation, avec le RGPD en particulier, est un acteur puissant de l’évolution des pratiques en marketing. Une évolution qui ne fait que commencer puisque les nouveaux règlements européens e-privacy et Digital Services Act (DSA), attendus en 2022, vont probablement contraindre davantage les acteurs du numérique. Préparons, anticipons, agissons.

Si d’aucuns estiment que l’adoption de bonnes pratiques est lente, Guillaume Le Friant, cofondateur de Sendethic temporise : « Le RGPD n’a que trois ans. Nous sommes dans une phase de construction d’usages et de pratiques. Le rôle du DPO évolue. Il faut laisser le temps aux organisations de s’adapter pour avoir une vue globale de l’utilisation de la donnée. Il existe des problématiques réglementaires, d’outils ou encore de compréhension. Mais tout cela va se mettre en œuvre. Et c’est par les échanges comme ceux-ci que nous aurons demain des pratiques respectueuses des données personnelles, dans le but de fournir un vrai service au client ». Rappelons que le RGPD est un texte moins « fermé » qu’il n’y paraît. Il est possible de l’interpréter et de l’adapter, en particulier en fonction de son activité. C’est d'ailleurs le rôle du DPO, comme le souligne Liliane de Carvalho du groupe Madrigall.

Cela dit, ce règlement n’est pas parfait, voire même, il induit des effets paradoxaux. D’une part, il a « tendance à ériger des barrières à l’entrée qui pourraient encore conforter la place des insiders, explique Florian Forestier, soulignant que ce point fait consensus à l’échelle européenne. Plus la réglementation conduit vers des audits et des processus de mise en conformité lourds, plus on favorise les grands acteurs, les  seuls à pouvoir les assumer et mettre en place les outils adéquats».

Autre limite, l’application du RGPD se traduit par la mise en place de formulaires de recueil de consentement sous forme de pop ups, qui génèrent une « fatigue du consentement » chez l’internaute. En effet, bien que ce dernier le réclame, le système alourdit la navigation, l’expérience utilisateur et modifie les usages. Combien sommes-nous à cliquer sur le bouton « accepter » ou « refuser », sans réfléchir ni lire les conditions afférentes ?  

« La réglementation devra intégrer le design, les architectures de choix, pour répondre aux objectifs du RGPD » Florian Forestier

« Normalement le RGPD, ce n’est pas seulement donner son consentement mais aussi mettre en capacité l’usager à donner un consentement éclairé. Cela a été étudié par la Cnil, dans un livre intitulé “La forme des choix”. Selon la façon que l'on propose à l'usager de répondre aux questions, il ne va pas répondre de la même manière. Par exemple, si on lui demande au début, alors qu'il est en quête d'un service, l’usager va avoir tendance à cliquer « oui » à tout. L'interprétation du RGPD se focalise surtout aujourd'hui sur les donnée et non sur l’architecture de choix des interfaces, qu'on appelle le design. Or c’est ça qui conditionne le comportement des usagers. Tant qu’on n’a pas une réglementation qui touche le design, la mise en capacité effective de donner son consentement éclairé au bon moment, c'est-à-dire l'effectivité du droit, on n’a pas rempli les objectifs du RGPD. C'est pourquoi, il y a toujours des discussions et des propositions émises par différents acteurs, comme la FING (Fondation Internet Nouvelle Génération), pour réfléchir à l'évolution du rôle du DPO, dont la mission ne serait plus seulement focalisée sur données mais aussi à la protection de l’attention de l’usager ou la prise en compte de l’usage des algorithmes dans le travail ».

Autre sujet de réglementation : les réseaux sociaux. Ceux-ci jouent le rôle d’espace public alors que ce sont des espaces privatifs. Pour renforcer les droits des usagers dans ces espaces, pour les rendre proches de ceux qu’ils ont dans les espaces publics, la députée (LREM) Paula Forteza a proposé de nouvelles mesures : droit de réponse numérique, droit d’affichage numérique, renforcement du droit au recours collectif, droit à l’interopérabilité, droit à la protection de l’attention pour restreindre les modèles fondés sur la simple captation, droit au paramétrage individuel pour que les internautes puissent déterminer la manière dont les algorithmes vont plus ou moins induire de sérendipité… Mais là encore, la rédaction des textes réglementaires et leur mise en œuvre nécessiteraient une attention particulière de façon à « rompre avec les modèles monopolistiques et les règles du jeu » des grandes plateformes.

12) Un long chemin reste à parcourir : se mettre à l'écoute des différents points de vue

En cinq mots ? Sincérité, frugalité, pédagogie, fluidité et écoute !  

La marche vers un numérique plus sobre, durable et éthique est lancée. Sous la pression de la réglementation, des consommateurs voire au nom de la performance. Comme nous venons de le voir, il existe plusieurs manières pour ce faire. En résumé, il s’agit de faire preuve de transparence, pertinence, frugalité et de sincérité. Facile à dire… Échanger des points de vue, partager les bonnes pratiques pour s’inspirer, mais aussi se remettre en question avec fluidité, à l’image de cette table-ronde sont assurément un bon point de départ.


Pour aller plus loin

  • La Confiance des clients ne se gagne pas sous la contrainte : cet article de Frédéric Cavazza rappelle cette valeur fondamentale de la relation numérique, qui se construit lentement, ou se détruit en quelques clics : la confiance. Et comment elle devra nécessairement s'appliquer dans le monde post covid même si certaines pratiques actuelles relèvent encore de la terre brulée.
  • Ethique et performance – entre responsabilité sociétale et logique économique : éthique et performance sont-ils compatibles ? A l’heure où le permafrost fond à la vitesse V, un article de fond et un Podcast de Yann Gourvennec de Visionnary Marketing qui commente avec un délicat mélange de bienveillance et d'humour le débat de la table ronde tout en ouvrant de précieuses pistes de réflexions/actions comme celle autour du demarketing.
  • Coalition for Better Ads : la Coalition for Better Ads associe des annonceurs et des acteurs de la publicité numérique et a pour ambition de développer des standards pour la publicité digitale répondant mieux aux attentes des consommateurs.
  • #LePlusImportant : ce Think tank produit et partage des solutions concrètes pour relever les défis sociaux de l'économie numérique, développer le potentiel de tous les enfants et rendre l'économie et la transition écologique plus inclusives.

Article écrit en collaboration avec Alexandra Luthereau,

Les participants de la Table Ronde

Isabelle MASHOLA CEO d'ISAHIT. Ex CIO EMEA de Publicis, elle dirige l'entreprise à impact ISAHIT plateforme d'entraînement de l'IA «Human in the loop»

Lionel CURT CEO De MNSTR et Président de l'AACC Digital (Association des Agences Conseils en Communication).

Florian FORESTIER. Philosophe, romancier cadre de la fonction publique et directeur d'étude du think tank #LePlusImportant

Christophe COUSIN Data Guru et CEO d'ANABATIQ. Serial entrepreneur dans le domaine de la data

Benoit DUBOS
CEO de SCALEZIA. Growthhacker responsable à Scalezia.co

Liliane de Carvalho Responsable juridique et DPO du groupe Madrigall (Gallimard).

Frédéric CAVAZZA Co fondateur de SYSK premier accélérateur de grandes entreprises.

En partenariat avec


Replay de la Table Ronde

La table ronde du 24 novembre 2021 à découvrir en mode brut in extenso !

  • Isabelle MASHOLA CEO d'ISAHIT
  • Lionel CURT CEO De MNSTR
  • Florian FORESTIER. Philosophe, rommancier et cadre de la fonction publique
  • Christophe COUSIN Data Guru et CEO d'ANABATIQ.
  • Benoit DUBOS CEO de SCALEZIA
  • Liliane DE CARVALHO Responsable juridique et DPO du groupe Madrigall (Gallimard).
  • Frédéric CAVAZZA Co fondateur de SYSKf

Replay de la conférence Refondre la confiance

Le 21 octobre, Frédéric Cavazza avait introduit ce cycle avec une conférence inaugurale « Bienvenue dans un monde Cookieless : refondre la confiance ».

  • Grandes tendances numériques
  • La suprématie des GAFA
  • Les régulations publiques et privées
  • Mythes et réalités de la confidentialité en ligne
  • Construire un écosystème numérique éthique
  • Le marketing de refondation de la confiance